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Tableau de la Grèce depuis 1945
Par Juliette Estaquet

Aux origines de la guerre civile

Pour comprendre l’histoire de la Grèce contemporaine, il convient de revenir sur les événements qui ont précédé la guerre civile. Au cours du second conflit mondial, la Grèce subit l’occupation militaire italo-allemande. Le pays souffre du pillage économique, mais aussi de la Grande famine causant plus de 300 000 victimes. Pendant la guerre, le roi Georges II est en exil, tandis qu’en Grèce une résistance s’organise contre les Allemands, les Italiens et les Bulgares. Mais peu à peu, des clivages naissent entre deux branches de la résistance. D’un côté, se développe la Ligue nationale démocratique grecque (EDES) de tendance républicaine, de l’autre le Front de libération nationale grec (EAM) fondé par le parti communiste grec (KKE) dont la branche armée était l’Armée populaire de libération nationale grecque (EAS). À la fin de l’année 1943, les résistants contrôlent les trois-quarts du pays. Mais des inquiétudes grandissent, la question se posant de savoir quel pouvoir sera mis en place après la guerre. L’EAM-ELAS refuse le retour du roi qui soutenait l’ancien dictateur Ioánnis Metaxás.

Le 10 octobre 1944, à la conférence de Moscou, Churchill et Staline scellent le sort de la Grèce lors la signature de l’accord des pourcentages. Le dictateur soviétique n’est pas intéressé par ce pays et préfère négocier des zones d’influence en Roumanie, Bulgarie et Yougoslavie. 90 % du contrôle du territoire grec reviennent au Royaume-Uni. Il n’est pas dans les intérêts de Churchill que le communisme arrive au pouvoir. Pour cette raison, il apporte son soutien à la restauration du roi Georges II. En décembre 1944, l’EAM-ELAS tente de s’emparer du pouvoir mais les Britanniques interviennent. La Grande-Bretagne bombarde et réprime.

La guerre civile (1946-1949)

Après la guerre et le retour du roi Georges II, permis par le plébiscite de 1946, l’opposition entre les communistes et les républicains-monarchistes au gouvernement entraîne une lutte armée qui déchire et affaiblit le pays. Les Britanniques  soutiennent militairement le gouvernement royaliste d’Athènes. La guerre civile grecque (1946-1949), qui puise ses origines dans la seconde guerre mondiale, est considérée comme le premier conflit armé de la Guerre froide. En 1946, les communistes fondent l’Armée démocratique de Grèce (ADG) dont l’un des leaders est Márkos Vafiádis. Les Anglais pris par leurs propres difficultés, ne peuvent plus assurer l’aide au gouvernement grec. Ce dernier se tourne alors vers les États-Unis qui prennent le relais en 1947 et apportent un soutien matériel. Harry Truman prononce un discours resté célèbre qui marque le début d’une doctrine d’endiguement et la fin de l’isolationnisme. Le sort des communistes se précise en 1948 quand Márkos Vafiádis perd le soutien de Staline. En octobre 1949, les troupes communistes sont vaincues par l’armée gouvernementale d’Athènes aux monts Gràmmos.

La branche résistante communiste qui a contribué à la libération du pays devient un ennemi indésirable. Le rôle des résistants ne sera reconnu que plusieurs décennies plus tard, après la chute du régime des colonels. La Grèce est le seul pays où les actes de résistance face aux forces fascistes n’ont pas été reconnus à la fin du conflit mondial. Les communistes sont écartés. Entre 1947 et 1950, le gouvernement grec fait déporter 80 000 personnes sur l’île aride de Makronissos, au large du cap Sounion, désormais vouée à être un camp de rééducation politique. Le poète Yánnis Rítsos fait partie des artistes qui y sont emprisonnés. Au cours de sa détention à Makronissos, il rédige entre août et septembre 1949, les poèmes du recueil Temps pierreux, qu’il enterre dans des bouteilles. Le film documentaire Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit (2012) du réalisateur suisse Olivier Zuchuat retrace son histoire et celle de ses compagnons d’infortune.

Les années 50-60

La Grèce est l’un des premiers pays à avoir bénéficié des aides du plan Marshall, connaissant ainsi un redressement progressif de son économie au cours de la décennie 1950-1960. Malgré l’instabilité politique du pays, la Grèce devient membre du Conseil de l’Europe en 1949, en même temps que la Turquie. En 1952, ces deux pays rejoignent l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La même année, les femmes grecques obtiennent le droit de vote. Après des gouvernements centristes, la droite prend le pouvoir de 1952 à 1955 sous l’égide du parti du Rassemblement grec, dirigé par le général Aléxandros Papágos. Konstantínos Karamanlís crée le parti de l’Union nationale radicale (ERE) et occupe la fonction de Premier ministre entre 1955 et 1963. Son gouvernement, conservateur, est soutenu par les États-Unis.

Karamanlís souhaite renforcer le rapprochement du pays avec l’Europe. En 1961, grâce au soutien de Charles de Gaulle, un accord d’association entre la Grèce et la Communauté économique européenne (CEE) est signé à Athènes et entre en vigueur en 1962. Il prévoie notamment une union douanière et laisse entrevoir la possibilité d’une adhésion future à la Communauté européenne.

L’année 1963 est marquée par un évènement qui entraîne une forte mobilisation populaire : l’assassinat de Grigóris Lambrákis, député de l’Union de la gauche démocratique (EDA), renversé par un véhicule. La lettre Z, signifiant « il est vivant », devient un véritable symbole de rebellion envers le gouvernement conservateur. Plusieurs milliers de personnes sont présentes aux funérailles. Les Jeunesses Lambrákis voient le jour avec à leur tête le musicien Mikis Théodorakis. En 1966, l’écrivain grec Vassílis Vassilikós publiera le roman Z qui sera adapté à l’écran en 1969 par le cinéaste franco-grec Costa-Gavras. Après le coup d’État des colonels de 1967, la musique de Théodorakis sera interdite, de même que l’utilisation de la lettre Z ; quant à l’enquête sur la mort de Lambrákis, elle sera définitement close avec l’amnistie des officiers de gendarmerie mis en cause.

En juillet 1963, Konstantínos Karamanlís démissionne suite à un désaccord avec le pouvoir royal. Le gouvernement qui succède à celui de Karamanlís est l’Union du centre de Geórgios Papandréou. La politique de ce dernier vise à prendre ses distances avec les États-Unis dont il souhaite diminuer la présence militaire sur le territoire grec. La période se caractérise par une instabilité politique qui mène au coup d’État des colonels de 1967.

La dictature des colonels

Dans la nuit du 20 au 21 avril 1967, des chars envahissent la ville d’Athènes et des troupes militaires s’emparent des lieux stratégiques de la ville : le port du Pirée, les gares et les aéroports. Les principaux responsables politiques sont arrêtés, la torture et la peine de mort sont rétablies, la presse est censurée et un couvre-feu est instauré. La Grèce bascule dans la dictature. À six heures du matin, la radio annonce le coup d’État, qui ne rencontre aucune résistance auprès de la population. Le coup d’État militaire, préparé depuis deux ans, est orchestré par trois hommes : le colonel Geórgios Papadópoulos, le colonel Nicolaos Makarezos et le général Stylianós Pattakós. Ce régime autoritaire restera gravé dans l’Histoire sous le nom de dictature des colonels.

Le trio instigateur justifie son action par la nécessité de contrer la menace communiste. Le 13 décembre 1967, le roi des Hellènes Constantin II tente un contre-coup d’État qui échoue. Il est exilé à Rome et une régence est mise en place. Progressivement, Geórgios Papadópoulos s’octroie tous les pouvoirs en occupant les fonctions de régent, Premier ministre et ministre de la Défense et des Affaires étrangères.

Dans la dictature de droite, soutenue par les États-Unis qui peut maintenir ses bases militaires en Méditerranée, les partis politiques sont interdits. Le gouvernement s’attache néanmoins à obtenir la sympathie d’une partie de la population, notamment en effaçant les dettes des agriculteurs. Au cours de ces années, de nombreuses arrestations ont lieu. Parmi les lieux de détention, le camp de concentration de l’île de Gyaros, où artistes et opposants politiques sont détenus, deviendra après la dictature un important lieu de mémoire. La censure du régime concerne tous les domaines. En littérature, des auteurs comme Sophocle et Tolstoï sont interdits ; la musique ne fait pas exception à la règle. Le régime s’attache à récrire l’Histoire en organisant des fêtes s’inspirant des péplums dans les stades et en contrôlant les programmes scolaires et les productions culturelles. Les slogans de la dictature des colonels prônent la Grèce antique et chrétienne.

Peu à peu, des réponses contestataires au régime se font entendre. C’est le cas en 1968, à la mort de Geórgios Papandréou, en résidence surveillée depuis le coup d’État. Des manifestations populaires d’hommage à l’ancien leader de l’Union du centre réunissent des centaines de milliers de personnes qui, s’insurgeant contre le régime de la junte, scandent le mot « liberté ». Une solidarité internationale se crée. Les artistes exilés, notamment en France, obtiennent le soutien d’intellectuels comme Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir. En 1970, sous la pression internationale, le musicien Míkis Theodorákis est libéré.

Le jour du sixième anniversaire du coup d’État, le 21 avril 1973, des attentats sont perpétrés à Athènes. Les manifestations étudiantes se multiplient en Grèce. Celle qui aura le plus d’impact est le soulèvement de l’École polytechnique du 14 au 17 novembre 1973. La répression est forte : un char d’assaut détruit la porte de l’université, au moins 24  morts sont recensés. Cet évènement, le choc pétrolier de 1973 et la crise chypriote, qui voit l’île scindée en deux à la suite de l’invasion turque, fragilisent le régime et contribuent à sa chute. La dictature des colonels est discréditée sur les plans intérieur mais aussi international. Le film Les années de pierre (1985) du réalisateur grec Pantelís Voúlgaris revient sur la période de la fin de la guerre civile grecque à la chute des colonels en suivant l’histoire d’un couple de militants communistes.

Le changement de régime ou «  Metapolítefsi »

Pendant la dictature, Konstantínos Karamanlís est en exil en France. En 1974, il retourne à Athènes à bord de l’avion présidentiel français prêté par Valéry Giscard d’Estaing. Il est nommé Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale et légalise le parti communiste grec (KKE). Ce changement de régime sera désigné sous le terme de Metapolítefsi, la transition de la chute des colonels au retour du régime démocratique. Le procès des colonels a lieu en 1975 et Konstantínos Karamanlís est élu président de la République en 1980.

D’un point de vue économique, la chute des colonels entraîne le dégel des rapports avec la CEE. La rupture des relations, provoquée en 1967, avait privé le pays des aides de la Banque européenne d’investissement (BEI). Désormains, la Grèce se rapproche des communautés européennes. En 1981, elle entre dans la CEE et en devient le dixième État. La même année, le PASOK, le parti socialiste d’Andréas Papandréou, le fils de l’ancien Premier ministre, arrive au pouvoir. En 1983 sont signés les accords de maintien des bases américaines en Grèce jusqu’en 1989. En 1985, Chrístos Sartzetákis est élu président de la République, Karamanlís lui succédant cinq ans plus tard.

Vers l’entrée dans la zone euro

En 1995, avec le soutien du PASOK, Konstantínos Stefanopoulos est élu président de la République hellénique ; il effectuera deux mandats. Sa présidence est marquée par l’entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001 avec l’accord des onze pays membres. La Grèce remplit plusieurs critères du traité de Maastricht qui lui permettent de bénéficier d’un taux d’emprunt avantageux sur les marchés financiers. Mais pour financer sa croissance, elle s’endette.
En 2004, l’organisation des Jeux olympiques d’été à Athènes s’inscrit dans une démarche initiée quelques années auparavant visant à promouvoir le pays à l’international.

La même année, cependant, le ministre des Finances grec révèle au Parlement européen que les chiffres ont été falsifiés : la Grèce ne remplissait pas les conditions pour intégrer la zone euro.

Une crise économique majeure

C’est sous la présidence du socialiste Károlos Papoúlias que débute la crise économique et financière qui touche la Grèce depuis maintenant plus d’une décennie. En 2009, le gouvernement du nouveau Premier ministre Giórgos Papandréou, fils d’Andréas Papandréou, annonce que certains des chiffres annoncés en 2004 n’étaient pas véridiques. L’année suivante, le New York Times révèle que la banque Goldman Sachs a aidé la Grèce depuis 2001 à falsifier ses comptes afin de pouvoir emprunter. Par conséquent, le taux d’intérêt augmente et la dette continue de croître. Giórgos Papandréou annonce un premier plan d’austérité en 2009, suivi d’un second en 2010. La Grèce se retrouve dans une situation financière désastreuse. Pour éviter la faillite, les pays de la zone euro votent en mai 2010 un plan d’aide internationale incluant un prêt de 110 milliards d’euros dont une partie est prise en charge par le Fonds monétaire international (FMI). En 2011, un second plan d’aide est mis en place tandis qu’entre 2010 et 2015, la Grèce déploie sept plans d’austérité supplémentaires, entraînant des manifestations populaires.

Sous la présidence de Prokópis Pavlópoulos, élu en 2015, la possibilité d’un « Grexit » est de plus en plus concevable. Le nouveau Premier ministre du parti radical de gauche SYRIZA, Aléxis Tsípras, entame de nouvelles négociations auprès des créanciers. Il demande l’arrêt des plans d’austérité et organise un référendum à l’issue duquel le peuple grec refuse les conditions établies par la troïka (terme désignant la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international). Les négociations se poursuivent dans un contexte de tension internationale. Le 13 juillet, les dirigeants de la zone euro élaborent un nouveau plan d’austérité qui permet à la Grèce de rester dans l’union. Contesté par une partie de sa majorité, Aléxis Tsípras démissionne, mais est réélu lors des élections législatives anticipées un mois plus tard.

En 2018, la Grèce sort de la tutelle de l’Union européenne et du FMI. Aujourd’hui, cependant, la dette publique grecque reste toujours élevée. Le pays, profondément touché par la crise, se doit de diversifier son économie.

En janvier 2020, le Parlement grec, également appelé la Vouli, a élu la magistrate Ekateríni Sakellaropoúlou à la présidence de la République hellénique. Présidente du Conseil d’État de 2018 à 2020, connue pour sa défense de la neutralité religieuse de l’État et des droits des minorités et des réfugiés, elle est considérée comme progressiste. Elle obtient 261 voix sur 300, rassemblant ainsi tant des conservateurs que des députés de gauche. Le Premier ministre de droite Kyriákos Mitsotákis la présente comme la candidate de « l’unité » et du « progrès », tournée vers la modernité et l’écologie.


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Illustration : Athènes, Grèce, vue sur la colline du Parthénon.
Jimmy Teoh, 2015 (modifié)

Source : Pexels
Licence : libre d’utilisation


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