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L'impasse de l'offensive sur le front de l'Ouest (1914-1917)
Par Jean-Philippe Renault

La Première Guerre mondiale est la première guerre de masse de l’Histoire. À l’été 1914, les armées qui se font face s’inscrivent dans une logique d’offensive. Mais aucun plan ne pourra être mené à bien en raison de la puissance du feu de part et d’autre. En Europe de l’Ouest commence une longue guerre de position.

Le plan allemand de conquête éclair avorté

Avant même la déclaration de guerre, les politiques et les militaires des deux camps avaient préparé les opérations. Le Grand état-major impérial allemand s’appuyait sur le « Plan Schlieffen » qui avait été revu dès les années 1900, notamment par son auteur Alfred von Schlieffen et Helmut von Moltke le jeune, neveu du vainqueur de Sedan. Le plan prévoyait une victoire stratégique rapide sur l’armée française par une puissante et large manœuvre à travers la Belgique en direction de Paris (grâce aux mouvements d’infanterie soutenus par une puissante artillerie lourde), pour ensuite retourner l’armée contre la Russie, grâce à un redéploiement appuyé sur le très moderne réseau ferroviaire de l’Allemagne d’alors.

Mais le succès du « Plan Schlieffen » dépendait d’une série de conditions impératives : que la Belgique laisse passer les troupes allemandes; que la Russie mobilise suffisamment lentement; et que la Grande-Bretagne n’intervienne pas sur le continent. Or, quand le 4 août 1914, l’Allemagne s’apprête à déclencher son offensive, le roi des Belges Albert Ier refuse l’ultimatum. Par conséquent, l’avance rapide prévue sur l’axe Namur-Liège-Mons est vite ralentie, en raison d’une part de la résistance de la petite armée belge -qui pratique le harcèlement plus que les batailles rangées-, d’autre part de la nécessité de réduire les places fortifiées de Liège; mais encore de l’engorgement rapide des voies de communication. Au surplus, quand l’Allemagne foule au pied le traité de neutralité de la Belgique, la Grande-Bretagne comprend qu’elle ne peut plus rester spectatrice; car la menace allemande sur la Manche et la mer du Nord se dessine dangereusement.

Le 5 août, Londres déclare la guerre à Berlin. Or, une mauvaise surprise succédant à une autre pour les Allemands, l’armée britannique est prête. En effet, si numériquement, les troupes de Georges V apparaissent comme peu de chose en comparaison de celles de la France et de l’Allemagne, leurs six divisions professionnelles sont solides et ont appris de leur expérience dans la guerre des Boers. Qui plus est, leur déploiement en France en vue d’une guerre sur le continent, a fait l’objet d’une coopération préparatoire minutieuse et complexe de la part des états-majors français et britannique. Ainsi, le débarquement des divisions de la British Expeditionnary Force (BEF) de John French s’est effectué avec un chronométrage quasi-parfait, permettant la concentration de forces suffisantes dans le secteur de Mons.

La France face à l’offensive allemande

Le généralissime Joseph Joffre mise sur une mobilisation massive et une concentration rapide des forces aux frontières. Le but stratégique est de porter des forces en Alsace et en Moselle, et aussi en Belgique. Les tactiques utilisées par l’armée française sont fondées sur la manœuvre d’infanterie appuyée à de l’artillerie légère facilement déployable (canons de 75 mm). La mobilisation française s’effectue dans de bonnes conditions, qui vont même jusqu’à surprendre les membres du gouvernement. Les troupes françaises passent à l’offensive fin août. Mais elles connaissent d’abord un sanglant échec à Rossignol (Ardennes) où l’infanterie se fait faucher par le feu allemand. En Alsace, les unités de réserve lancées sur Cernay ne peuvent s’ancrer dans la région et doivent se replier.

Au Nord, les Allemands réussissent à s’emparer de Mons après de durs combats et à pénétrer en France, pour effectuer un mouvement tournant en direction de Paris,- objectif aussi stratégique que politique. Von Moltke a concentré ses plus gros moyens dans cette intention. Ses armées descendent vers l’Aisne et l’Oise, et malgré un coup d’arrêt à Guise, continuent leur progression. Cependant Joffre fait à ce moment le choix judicieux de replier ses corps sur la Marne, les lignes de ravitaillement allemandes s’étirant alors dangereusement.

Le gouvernement français s’est réfugié à Bordeaux et la ville de Paris est placée sous l’autorité du général Gallieni. Celui-ci la transforme en camp retranché avec peu de forces. Opérationnellement, les efforts de Gallieni ne servent pas à grand-chose, car défendre Paris est quasiment irréalisable. En revanche, ils ont un effet important sur le moral. Or le général allemand Alexander von Kluck commet l’erreur de chercher à contourner Paris par l’est, et dévie de sa route. Foch en profite aussitôt pour passer à la contre-attaque entre l’Ourcq et la Marne. C’est la Victoire de la Marne (septembre 1914). Les pertes françaises sont lourdes, mais les Allemands sont épuisés et choisissent de se retirer entre l’Oise et l’Aisne. Plus à l’est, après avoir réussi à repousser les Français de part et d’autre de la Moselle et dans les Vosges, les Allemands échouent à s’emparer de Nancy, après la victoire d’Édouard de Castelnau au Grand-Couronné, un rempart naturel de la ville lorraine.

À l’automne, après l’échec de la Marne, Helmut von Moltke le jeune joue sa dernière carte sur le front de l’Ouest. Il cherche à s’emparer des ports des Flandres françaises. Cette phase de la « course à la mer » va donner un aperçu de ce que seront les combats durant trois années. Face aux forces alliées rassemblées et conduites par Ferdinand Foch, les Allemands attaquent dans les Flandres, parfois sans réelle préparation et avec des unités sans expérience. Les combats sont terribles autour d’Ypres, important nœud ferroviaire tenu par les Britanniques et les Indiens. Les Allemands tentent ensuite de franchir l’Yser à Dixmude mais sont arrêtés par la brigade de fusiliers marins du contre-amiral Ronarc’h. Sans expérience du combat terrestre, cette unité va particulièrement se distinguer en tenant dans la boue pendant quatre semaines, au lieu des quatre jours initialement assignés. A l’issue, les Belges font sauter les écluses, ce qui noie les champs alentour, figeant ainsi le front. En France et en Belgique, les deux camps s’enterrent alors dans des lignes de tranchées qui vont se sophistiquer à mesure de l’avancement du conflit.

À la fin de 1914, le front occidental est figé. Erich von Falkenhayn (qui a remplacé von Moltke) décide d’opter pour une stratégie défensive sur le front de l’Ouest. Il ordonne de fortifier puissamment l’ensemble les lignes entre la mer du Nord et la frontière suisse. Les impressionnants ouvrages bétonnés et maçonnés qui vont dès lors parsemer le front, sont un aveu d’échec pour les stratèges de Berlin. Ils ont raté leur objectif de faire plier la France sous une offensive éclair comparable au précédent de 1870. Et la Grande-Bretagne s’est elle aussi solidement installée dans le conflit.

1915 – Les premières tentatives de percer le front

Du côté des Français et Britanniques, on cherche à obtenir une percée décisive. Joffre conduit successivement plusieurs offensives – deux en Champagne et deux en Artois – entre les 9 mai et 25 septembre 1915 ; les Britanniques en lancent une à Loos. Incontestablement, les soldats se conduisent courageusement dans les assauts de tranchées, sous le feu des mitrailleuses et des bouches à feu allemandes. Mais l’armée française manque encore d’expérience dans le maniement de l’artillerie lourde et dans sa coordination avec les unités aériennes de reconnaissance. Tous les assauts s’enlisent, après de modestes percées où l’engagement des réserves, pour les exploiter, demeure difficile. Le sacrifice de plus de 200 000 hommes durant ces offensives ne sert qu’à « grignoter » des morceaux du front, selon la formule de Joseph Joffre. Ainsi l’année 1915 se résume à un sanglant piétinement.

Entre-temps la guerre s’est entendue aux Alpes. En mars 1915, suite à la signature du traité de Londres, l’Italie du roi Victor-Emmanuel III a quitté la Triplice (elle s’était jusqu’alors abstenue de participer au conflit) et a déclaré la guerre à l’Autriche-Hongrie (23 mai). L’Italie a pour but de guerre de récupérer les fameuses « Terres irrédentes » (Trentin, Haut-Adige, Trieste et Istrie). Cependant son armée est d’une valeur relative. Certes, elle dispose de bonnes unités comme les alpini, mais ses divisions manquent de cohésion et d’un bon encadrement. En outre les capacités industrielles du pays (concentrées au Nord) ne lui permettent pas de se doter d’un matériel lourd suffisant. Mais la reggia escercita (l’armée royale) est commandée par un général obsédé par l’offensive, Luigi Cadorna. Son idée fixe ? Percer sur l’Isonzo. Au grand espoir de Londres et de Paris. De son côté, l’état-major de Vienne a déplacé d’urgence des troupes du front russe et des Balkans, afin de garnir ses défenses sur le front des Alpes. Lancée en mai 1915, la première bataille de l’Isonzo est un échec. Mais Cadorna, sans pitié pour les pertes et intraitable aux mutins et déserteurs que suscite son sanglant acharnement, va lancer dix offensives successives jusqu’en septembre 1917. Sans résultat pour ainsi dire : seulement quelques vallées et villages dans les montagnes à la frontière de l’Italie et de l’actuelle Slovénie.

1916 – Verdun

Sur le front occidental, depuis le Grand Quartier général de Chantilly, Joseph Joffre  s’obstine à lancer de grandes offensives. Mais à ce stade de la guerre, l’armée française a fait d’énormes progrès : amélioration de l’armement des fantassins, attaques d’infanterie plus sophistiquées, augmentation du nombre de canons lourds et d’avions. Joffre veut percer sur la Somme avec l’armée française et l’appui de l’armée britannique, qui monte en puissance en termes d’effectifs.

Mais Berlin va prendre Joffre de vitesse. Dès décembre 1915, Erich von Falkenhayn a décidé de déclencher une puissante offensive contre le secteur fortifié de Verdun. Baptisée Gericht (« jugement »), l’action a pour but de saigner à blanc l’armée française dans un gigantesque combat d’attrition, visant de pair à démoraliser la population. Car depuis leurs succès défensifs de Champagne et d’Artois, les Allemands se leurrent à penser que l’armée française est à bout. Ils croient pouvoir spéculer sur un effondrement de l’opinion qui forcerait Paris à ouvrir des négociations. Au vrai, cette erreur de jugement trahit l’impasse où ils sont enfermés eux-mêmes. Bloqués sur les deux fronts, à l’est comme à l’ouest, ils ont un besoin impératif d’être victorieux sur le front occidental, pour briser l’étau qui les tient. La pente à la démoralisation qu’ils prêtent aux Français est ainsi une chimère dont ils se rassurent, par fuite en avant. Du côté français, Joffre ne croit pas à une offensive allemande dans la région – contrairement aux avis du colonel Driant et du général de Castelnau. Ce dernier, son adjoint, a insisté auprès de lui pour renforcer le secteur de Verdun. De mauvaise grâce, Joffre a consenti à laisser un corps à Bar-le-Duc. Pas davantage.

Le 21 février 1916, Gericht démarre par un bombardement diluvien qui pulvérise les positions françaises. Une fois cessé, les fantassins allemands s’élancent mais ne progressent que médiocrement: le terrain est défoncé. Surtout les Poilus résistent vaillamment. Le fort de Douaumont est abandonné à l’ennemi le 25, mais le front ne cède nulle part. Face à l’impossibilité de percer sur la rive gauche de la Meuse, les Allemands tentent de percer sur la rive droite (Mort-Homme et Cote 304). Mais là encore, les Français tiennent bon. La bataille qui vient de s’engager va – par une série d’assauts et contre-assauts meurtriers sur fond de bombardements intensifs et dévastateurs – durer dix mois.

Le 23 février, Joffre a confié le secteur de Verdun au général Philippe Pétain. Ce dernier choisit de défendre plutôt qu’attaquer, et organise la rotation permanente des divisions (les combattants restent peu de jours sur le front de Verdun, remplacés bientôt par d’autres, fraîchement arrivés) ainsi que l’amélioration des approvisionnements. Le chassé-croisé permanent des unités montant au front (par « la Voie sacrée ») pour se remplacer à tour de rôle, aura cette conséquence que la majorité de l’armée française (environ 70 %) combattra à Verdun. Ce n’est pas le cas chez les Allemands dont les hommes engagés seront majoritairement les mêmes du début à la fin de la bataille. En mai le général d’artillerie Robert Nivelle, d’esprit tourné à l’attaque, succède à Pétain jugé par Joffre, comme par nombre de politiques à Paris, comme trop peu combattif. Nivelle parvient rapidement (juin-juillet) à enrayer définitivement la poussée ennemie. En mai-juin 1916, les Allemands lancent une dernière offensive majeure qui leur permet de s’emparer du fort de Vaux. Mais ils échouent devant le fort de Souville. Manquant de soldats et épuisés, ils ne tentent plus rien. L’été est calme à Verdun. En octobre, Nivelle va lancer des offensives mieux coordonnées et mieux combinées (artilleries, avions, infanterie) qui permettront de reprendre Vaux et Douaumont.

La bataille de la Somme

Malgré l’engagement massif et dévorant de l’effort de guerre français dans la bataille de Verdun, Joffre tient à lancer une puissante offensive sur la Somme, afin d’assommer les forces allemandes dans le Nord. Cette fois, ce sont les Britanniques qui vont jouer le premier rôle, sous la conduite de Sir Douglas Haig. Presbytérien obstiné formé aux Indes et en Afrique du Sud, Haig établit un plan qui a clairement une guerre de retard : un puissant bombardement doit précéder l’assaut de l’infanterie afin de permettre à la cavalerie anglo-indienne de s’engouffrer dans la brèche. Si la Fourth Army d’Henry Rawlinson dispose de moyens importants, ces soldats n’ont pas encore été formés à la guerre de tranchées et leur préparation a été hâtée. Les Français, sous le commandement de Ferdinand Foch, sont en appui des Britanniques. La VIème armée du général Fayolle doit prendre le plateau de Santerre.

L’offensive lancée le 1er juillet se solde dès le soir par un carnage. En une seule journée, plus de 19 000 Britanniques sont tués ou disparus, et plus de 40 000 blessés. Les Français ne subissent pas ces saignées, grâce à leur meilleure utilisation de l’infanterie et à l’expérience acquise. Le lendemain 2 juillet, les soldats de Fayolle nettoient le plateau de Santerre. Douglas Haig n’a pas obtenu la percée escomptée; mais il ne va avoir de cesse de la rechercher. En vain. Durant l’été et l’automne, les offensives que lancent Britanniques, Australiens, Néo-Zélandais, Canadiens, Sud-Africains et Français sont une série d’affrontements locaux sans résultat. La bataille se clôt cent-quarante jours plus tard, le 18 novembre 1916, à l’arrivée d’un hiver rigoureux. Elle aura fait, sans compter les ravages dans les villages et les terres, plus de 440 000 morts et disparus, et 600 000 blessés dans les deux camps. Soit plus d’un million de victimes, toutes armées confondues.

Malgré son désastre humain et la nullité de ses gains territoriaux, la bataille de la Somme marque l’apparition d’innovations techniques et d’améliorations tactiques notables. L’infanterie y a perfectionné ses tactiques en cherchant à consolider le terrain conquis; sa coopération avec l’artillerie et l’aviation s’est amélioré. L ‘introduction des tanks (chars) à Flers en septembre 1916 n’a pas procuré de succès décisif, mais les Britanniques vont vite chercher à en améliorer l’utilisation (Fuller et Helles).

1917 – Faux espoirs et craquements

Du côté allemand, Erich Ludendorff convainc le très influençable Kaiser Guillaume II de lancer l’Empire dans une « guerre sous-marine à outrance ». S’appuyant sur des données chiffrées très optimistes, le stratège allemand pense pouvoir mettre l’Angleterre à genoux économiquement en torpillant tous les navires qui cherchent à gagner ses ports. Aveuglé par les seules performances des équipages de U-Boote, Erich Ludendorff ne voit pas que cette stratégie va entraîner dans le conflit les États-Unis du président Wilson, jusque-là restés neutres. Cette suite inévitable se produit en avril 1917. Jusqu’aux miracles qu’il espère des sous-marins, Ludendorff est contraint de maintenir ses forces en position défensive sur le front de l’Ouest durant la première moitié de l’année.

Chez les Alliés, on en tient résolument et toujours pour l’offensive. Ceci alors que le blocus imposé à l’Allemagne par la Royal Navy après la bataille du Jutland (30 mai 1916), commence à payer; l’ Allemagne montre de sérieux signes de faiblesse économique. Nivelle qui a succédé à Joffre à la tête des armées françaises (décembre 1916), prépare le plan offensif dont le choix avait déjà été entériné par son prédécesseur. Ce plan est prévu pour le printemps 1917.

Les Britanniques lanceront une série d’offensives dans le secteur d’Arras afin de pressurer les Allemands. Sur un plan plus stratégique, l’armée russe devra lancer une nouvelle offensive en Galicie. La Première Révolution russe de mars 1917, qui a provoqué l’abdication de Nicolas II, ne prive pas encore Londres et Paris de l’alliance de Moscou. À rebours de l’opinion russe qui aspire désormais à la paix, Aleksandr Kerenski (chef du gouvernement provisoire) a décidé d’honorer ses engagements envers les Alliés.

Cependant, l’offensive décisive doit se produire sur l’Aisne, au Chemin des Dames, un secteur resté calme depuis la fin 1914. Nivelle, épaulé par Charles Mangin, dresse un plan au cordeau, en se penchant sur des cartes. Le haut commandement y croit, d’autant qu’en 1917, l’armée française dispose d’une artillerie lourde puissante (avec la réserve générale d’artillerie lourde confiée à Edmond Buat) et de meilleurs avions. La VIème Armée devra attaquer un plateau bien fortifié, avec un puissant appui d’artillerie. Les divisions engagées devront ensuite progresser dans le département de l’Aisne et reconquérir le terrain perdu en 1914. C’est un vaste et ambitieux programme, qui se veut un calque à grande échelle du succès local remporté à Douaumont l’automne précédent. Nivelle prend ses rêves pour des réalités. Les Poilus vont en faire les frais.

L’offensive du Chemin des Dames

L’offensive britannique commence le 9 avril, quand le Canadian Corps s’empare de la crête de Vimy, à l’est d’Arras, après une minutieuse préparation. Haig engage ensuite l’armée d’Allenby dans le secteur d’Arras. Mais les Australiens échouent à percer à Bullecourt. Et les offensives se muent en une série d’engagements locaux.

Comme prévu, Nivelle déclenche sa grande offensive le 16 avril 1917. Mais à cette date les Allemands ont déjà opéré, grâce à des renseignements qui les ont prévenus de l’imminence et des lieux de l’attaque, des replis tactiques et renforcement d’effectifs qui vont rendre leur défense plus solide encore. Sans aucun effet de surprise pour eux, le début de la bataille prend au contraire de cours les Alliés, confrontés à une modification des positions de l’ennemi. Au plan initial de coordination des attaques britanniques et françaises sur les flancs d’un saillant dont la pointe est Soissons, doit être substitué à la hâte une désarticulation des actions alliées en deux engagements autonomes.

Ces commencements difficiles, joints à une résistance efficace des soldats du Reich, aboutissent à un échec très coûteux en hommes : 350 000 tués, disparus ou blessés parmi les Alliés. Les gains territoriaux sont insignifiants. Cependant, chez les combattants français à qui l’on a rebattu les oreilles de « l’offensive victorieuse », de même que chez les politiques à Paris qui ont voulu voir en Nivelle le chef espéré dont l’énergie déciderait enfin du cours de la guerre, c’est le désenchantement de trop. Nivelle est limogé et remplacé par Pétain (15 mai). A cette date, des mutineries ont déjà éclaté sur tout le front: des soldats, sans déserter, refusent de quitter leurs tranchées pour de nouvelles attaques qu’ils jugent inutiles (certains même s’automutilent pour être renvoyés à l’arrière). Ce mouvement prend son ampleur majeure sous le commandement de Pétain. Cependant, quelques fusillés pour l’exemple, en petit nombre, et un arrêt du jusqu’auboutisme offensif permettent à l’été un retour à la discipline. Surtout, pour redonner confiance aux soldats français, en attendant la livraison massive de chars et l’arrivée des Américains, Pétain ordonne de lancer deux petites offensives très localisées, minutieusement préparées, avec coopération entre infanterie, canons, avions, unités de détection et même chars.

Ces attaques– la seconde bataille de Verdun et la prise du fort de la Malmaison – conduites respectivement par Maistre et Guillaumat, sont des succès. Ils ne permettent pas de percer le front, mais restaurent le moral et la hargne parmi les soldats. Ils démontrent aussi aux Allemands que les Français, loin d’être abattus, sont toujours l’adversaire redoutable et motivé qu’ils n’ont jamais cessé d’être.

Le mirage flamand de Douglas Haig

Du côté des Britanniques, l’Écossais Douglas Haig a défini un objectif qu’il pense réalisable: neutraliser les ports flamands qui abritent les bases d’U-Booter (Nieuport, Ostende, Anvers). Il croit avoir trouvé la formule miracle : une puissante offensive à l’est d’Ypres, via Passchendaele, puis un crochet vers la mer du Nord. D’abord sceptique, Lloyd-George approuve. Haig veut une offensive rapide, d’autant qu’il peut compter sur une armée (y compris les troupes venues des Dominions) qui a nettement progressé depuis l’année précédente : augmentation de la puissance de feu des fantassins, amélioration des tactiques d’infanterie, amélioration notable de l’utilisation de l’artillerie, …

L’exécution du plan Haig commence le 7 juin 1917 quand la Second Army d’Herbert Plumer fait littéralement sauter la crête de Messines, fixant au Sud d’Ypres les forces allemandes. Le 31 juillet 1917, la troisième bataille d’Ypres, ou bataille de Passchendaele, débute.  Les forces du général Hubert Gough s’enfoncent dans le terrain boueux qu’ont créé dans la région de fortes intempéries. Au surplus les Allemands sont préparés. Le Kronprinz Rupprecht de Bavière a confié la défense du secteur à deux officiers hors de pair: Bernhard Sixt von Arnim, commandant de la IVème Armée (qui connaît bien les Britanniques), et surtout son chef d’état-major le colonel von Lossberg. Ce dernier est l’âme de la défense allemande sur place, bien appuyée sur une série de Blockhäuser, casemates, tranchées, abris de mitrailleuses ou de lance-grenades. Les Britanniques sont mis en pièces.

En septembre, Haig écarte son protégé Gough des opérations et en confie la conduite à Herbert Plumer. Plus minutieux dans ses préparations offensives et pouvant s’appuyer sur certains généraux de classe (l’Australien John Monash et le Canadien Arthur Currie), Plumer adapte ses tactiques et remporte des succès, malgré de terribles pertes. Haig croit tenir sa victoire. Fasciné par Passchendaele comme par un talisman, il ordonne à Plumer un suprême effort. En octobre 1917, par un temps abominable, Britanniques, Australiens et Néo-Zélandais tentent de percer. Mais la boue et la souplesse tactique allemande brisent les offensives. À la tête du corps canadien, Currie réussit quand même à prendre Passchendaele à la fin octobre. Il y a sacrifié un tiers de ses forces.

Haig ne veut pas s’avouer son échec. Il n’a pas atteint son objectif stratégique, d’ailleurs devenu inutile depuis que l’US Navy est entrée dans la guerre. Il a grignoté des arpents de boue en saignant et démoralisant son armée. Il ordonne  pourtant une nouvelle offensive, sur Cambrai, avec utilisation plus massive de tanks. Déclenchée en novembre 1917, elle cause une vraie surprise aux Allemands dont la première ligne est rompue. Mais l’action s’enlise et une contre-attaque de l’infanterie d’assaut allemande reconquiert le terrain perdu. Derechef, le front se fige là aussi.

Les avancées austro-allemandes en Italie

Sur le front italien, on frôle la catastrophe. Se réduisant progressivement à un rôle de vassal, l’état-major de Vienne (Arz von Straussenburg) doit laisser son homologue de Berlin décider des grandes opérations. Or, Erich Ludendorff et Paul von Hindenburg ont décidé de lancer une puissante contre-offensive sur l’Isonzo pour faire reculer les armées de Cadorna. Préparée suivant des tactiques d’assaut qui ont fait le succès de la bataille de Riga (septembre 1917), l’offensive dite de Caporetto (douzième bataille de l’Isonzo) est déclenchée le 24 octobre. Elle fait suite à l’ultime offensive de Cadorna dans la région, durant laquelle les Italiens ont réussi à conquérir plusieurs vallées au prix de lourdes pertes.

Ce sont les Allemands (XIVème armée d’Otto von Below) qui frappent les premiers, avant les Austro-Hongrois. Bien appuyés par l’artillerie qui tire obus au gaz et explosifs, leurs unités de montagne ouvrent une brèche dans les positions italiennes. Hébétés et surtout épuisés, les Italiens n’ont pas la force de résister à ces tactiques perfectionnées, inédites pour eux. Le front de Cadorna se disloque partout; ses troupes fuient de manière désorganisée. Il faut l’énergie froide de plusieurs généraux (Ettore Caviglia et le duc d’Aoste notamment) pour que certaines grandes formations gardent leur unité. Les Austro-Hongrois croient tenir une grande victoire; il foncent sur le Piave. Mais les Allemands les y retiennent. Ludendorff ordonne à von Below de s’arrêter sur le fleuve. Les Autrichiens doivent renoncer à l’invasion du territoire italien que Caporetto promettait. Les Allemands  ont besoin de leurs forces pour l’offensive en France.

De leur côté, courant au secours du danger, les Alliés expédient en Italie six divisions qui arrivent sur le Piave après des prouesses de transport et de logistique. Cadorna est renvoyé et remplacé par un général napolitain, plus humain et plus compétent, Armando Diaz. Et le front se fige, une fois encore.


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Illustration : « Tranchée de première ligne : groupe de poilus devant l’entrée d’un abri », bois d’Hirtzbach, Haut-Rhin, France.
Autochrome, auteur inconnu, sans date.

Ministère de la Culture (France) – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine


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