L’histoire de l’Algérie française se confond avec l’histoire coloniale et son écriture est marquée par les difficultés d’une lecture commune, critique et apaisée de part et d’autre de la Méditerranée. Les usages politiques de ce récit national en France et en Algérie font écho à ce que l’on a pu qualifier de guerre des mémoires.
Si l’Algérie française appartient au monde d’hier, si son histoire reste méconnue et souvent affligée de stéréotypes, il importe d’en saisir la complexité et de se demander comment l’Algérie est devenue française.
Au commencement de l’Algérie française, on rencontre l’incertitude et l’improvisation, de la prise d’Alger, le 5 juillet 1830, sous le règne de Charles X, à la décision en 1834, sous la Monarchie de Juillet, de conserver ces « possessions françaises dans le nord de l’Afrique ». Rien ne prédispose la France à transformer, par la conquête, ce territoire en une future colonie de peuplement, conviction défendue par le lobby colonial et discutée en métropole jusqu’au tournant des années 1870.
C’est le général Louis-Auguste de Bourmont (1773-1846), ministre de la Guerre de Charles X, qui mène l’expédition depuis Toulon à la tête de 103 navires et de 350 bateaux transportant 40 000 soldats. Ceux-ci débarquent le 14 juin 1830 à Sidi-Ferruch, situé à vingt kilomètres à l’ouest d’Alger. Paris n’apprendra la prise d’Alger que le 9 juillet 1830, à la veille de la révolution de Juillet.
L’occupation militaire est longtemps restreinte mais se heurte à des formes multiples de résistance de la part de tribus et de confréries, livrées à elles-mêmes par suite de l’effondrement du pouvoir ottoman et de la division des trois beys de Constantine, d’Oran et du Titteri au lendemain de la capitulation d’Alger. La guerre s’accompagne d’une répression impitoyable et la violence de la conquête pousse les citadins à fuir les villes. En novembre 1830, Blida est mise à sac. D’est en ouest, la colonisation progresse de manière discontinue sous la forme d’une bande littorale élargie à l’est par la prise de Constantine en 1837.
Parmi les figures de la résistance algérienne, l’émir Abd el-Kader (1808-1883) joue un rôle de premier plan et sera célébré comme le fondateur de la nation algérienne. Allié puis ennemi des envahisseurs, ce jeune marabout de naissance chérifienne, proclamé « sultan des Arabes » par les tribus de l’Oranie en 1832, se voit reconnaître par traité en 1837 la souveraineté sur les deux tiers de l’Algérie, avant de mener pendant quinze ans la guerre sainte contre les Français. Il édifie dans le même temps un État organisé, fondé sur la stricte application des principes coraniques.
En 1839, la rupture par la France du traité de la Tafna, conclu en 1837 avec Abd el-Kader, signe le choix d’une politique d’occupation totale prônée par le général Bugeaud, commandant de l’armée qui sera nommé gouverneur général de l’Algérie en novembre 1840, cumulant ces deux fonctions jusqu’en 1847. La guerre se fait totale et augmente en intensité mobilisant un effectif de près de 100 000 hommes en 1846-1847. En 1847 l’ensemble du Tell algérien est entre les mains des Français.
En 1843, la prise de la smala d’Abd el-Kader, par le duc d’Aumale (1822-1897), prince de sang et gouverneur général de l’Algérie, contraint l’émir des croyants à l’exil dans l’empire chérifien. En représailles, Tanger et Mogador sont bombardées et la France remporte sur le Maroc la décisive bataille d’Isly en 1844.
La reddition de l’émir en décembre 1847 est obtenue contre la promesse de son exil à Damas, qu’il rejoindra en 1852, après avoir été détenu au Fort Lamalgue à Toulon, assigné à résidence à Pau, puis, pendant quatre ans, au château d’Amboise.
Cette bataille de la Smala est représentée par le peintre Horace Vernet en 1843 dans un immense tableau, de plus de 5 mètres de hauteur et de 10 mètres de largeur. Exposé aux Salons de 1846 et de 1855, il saura séduire les visiteurs des salles d’Afrique créées par Louis-Philippe au musée de l’histoire de France à Versailles.
L’intérêt pour l’Algérie se manifeste également par l’envoi d’une expédition scientifique et militaire (1839-1842) sous la direction de l’Académie des inscriptions et belles lettres, suivant le modèle de l’expédition d’Égypte, en vue de l’exploration systématique et pluridisciplinaire de ce territoire encore inconnu. Le colonel Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (1778-1846), naturaliste, prend la tête de la Commission exploratrice d’Algérie composée d’une vingtaine de membres topographes, naturalistes, archéologues ou linguistes, civils et militaires qui effectueront cartes, dessins, reconnaissances, relevés, et prélèvements sous la protection de l’armée. Les premiers volumes de L’Exploration scientifique de l’Algérie paraissent en 1844 dressant un remarquable inventaire géographique et archéologique. Ils dévoilent les vestiges d’une Afrique romaine, objet de fascination pour l’armée française, à la source d’une légitimation de l’entreprise coloniale qui, au nom de la civilisation, ancre l’Algérie dans un passé commun.
La colonisation française va s’employer à redessiner le visage de la Régence d’Alger, sous domination ottomane depuis le début du XVIe siècle, en lui conférant un statut singulier au sein de l’empire colonial français; d’abord sous le contrôle de l’armée, puis sous celui des civils à partir de 1870.
En 1848, Seconde République intègre le territoire de l’Algérie à la France par la voie de la départementalisation. Trois départements voient le jour : Alger, Oran et Constantine ; seuls les Territoires du sud restent aux mains des militaires.
La conquête du territoire place la politique indigène au cœur du processus de pacification. Ce pourquoi le général Bugeaud confie sa conception et sa réorganisation au commandant Eugène Daumas (1803-1871), arabisant et arabophile, créateur en 1844 des Bureaux arabes, dans le but d’établir un contact avec la population indigène dans les territoires militaires et de maintenir l’ordre colonial. Les officiers des Bureaux arabes, cadres de l’armée d’Afrique, représentent les véritables artisans de la colonisation en Algérie jusqu’aux années 1860-1870, en concentrant tous les pouvoirs sous le régime du sabre. Chargés de l’accueil des colons et en même temps de représenter et donc de défendre les indigènes, ils incarnent le rêve du Royaume arabe de Napoléon III, d’inspiration saint-simonienne.
En 1870, la chute de l’empire et l’avènement de la IIIème République conduisent à la fin du régime militaire en Algérie, à la demande des Français d’Algérie. Un gouvernement général civil de l’Algérie est institué. Il sera désormais rattaché au ministère de l’Intérieur et non plus à celui de la Guerre.
Le contrôle administratif du territoire algérien semble achevé, même si des opérations militaires sont encore à l’œuvre en Kabylie, dans le Constantinois et le Sud-Oranais jusqu’en 1880, date de la soumission définitive de la tribu des Ouled Sidi Cheikh,
La « colonisation officielle » met en œuvre une politique de spoliation foncière de grande ampleur menée par divers procédés d’expropriation dont celui du « cantonnement », visant à éloigner les tribus dans le but de favoriser les colons. L’administration des Domaines préside à la fondation de plus de sept cents centres de colonisation offrant des concession gratuites, -lots individuels sous condition suspensive de résidence obligatoire-, aux émigrants français et européens. Cette politique transforme profondément le paysage de l’Algérie. La colonisation « libre » sans intervention étatique s’affirme après 1900, principalement par l’achat de terres auprès des musulmans. En 1914, les colons disposent au total de 2 123 288 hectares ; en 1934, ce chiffre est monté à 2 462 537 ha, dont 1 500 000 environ fournis par la colonisation officielle. Le quart du sol cultivé appartient aux colons ruraux, alors qu’ils ne représentent environ que 2% de la population agricole.
Paysans pauvres originaires des régions montagneuses du sud-est de la France, d’Alsace ou de Lorraine, étrangers venus en majorité d’Espagne, d’Italie et de Malte mais aussi de Suisse, d’Allemagne ou de Belgique, la population européenne qui migre en Algérie se caractérise par la diversité de ses origines. Ce sont les villes, centres administratifs et économiques, qui accueillent l’essentiel de la population européenne : en 1872, 60% des Européens sont des citadins.
On compte 109 000 Européens en 1847, 272 000 en 1872, 578 000 en 1896, 829 000 en 1921.
Avec la loi de naturalisation automatique en 1889, la francisation triomphe des résistances. En 1901, on dénombre 364 000 Français dont 72 000 naturalisés récents et 189 000 étrangers ; en 1921, 629 000 Français et 196 000 étrangers, soit 23,7 % seulement. Cette population hétérogène composée en majorité de Français mais aussi de Juifs indigènes, déclarés français en 1870, et d’Européens naturalisés, forme peu à peu un peuple nouveau, celui des Français d’Algérie.
L’adoption du code de l’indigénat le 28 juin 1881, impose une distinction entre citoyens et sujets indigènes et un régime d’exception dans le domaine législatif. En effet, si les sujets colonisés se voient reconnaître depuis 1865 la qualité de « Français », ils restent privés de la majeure partie de leur liberté et de leurs droits politiques et ne conservent au plan civil que leur statut personnel fondé sur la loi coranique ou coutumière en matière notamment de mariage, de succession ou de donation. C’était aussi le cas des « israélites » soumis à la loi mosaïque jusqu’à ce qu’en 1870 le décret Crémieux leur attribue collectivement la pleine citoyenneté.
L’établissement de l’ordre colonial constitue une épreuve pour une société musulmane confrontée au déclassement de sa bourgeoisie citadine, à la ruine de son artisanat et à la paupérisation extrême de sa paysannerie. Seules quelques familles maraboutiques résistent. À partir de 1920, l’émigration de travail vers la France se substituera à l’unique perspective du salariat agricole. L’ agriculture, en privilégiant des cultures nouvelles et particulièrement la vigne, est à la recherche de cette main d’œuvre indigène indispensable à son fonctionnement.
L’explosion démographique que connaît la population musulmane après 1930 accentue la dégradation des conditions de vie par l’augmentation massive du chômage et suscite un véritable exode rural voire un exil vers la métropole, aiguisant encore davantage les frustrations.
C’est dans ce contexte que la naissance d’un sentiment national algérien se déploie, du fait d’un certain effacement de la société traditionnelle et de la déception des Jeunes-Algériens, un mouvement intellectuel et politique partisan de l’assimilation, face à l’absence de réforme. Seul Clemenceau, par la loi du 4 février 1919, a pu engager l’extension du droit de cité pour récompenser les musulmans de leurs 25 000 morts tombés pour la France. En 1938, l’abandon du projet Blum-Viollette, qui ambitionnait de donner la nationalité française à une minorité musulmane, confirme de manière éclatante l’ échec de la France à instaurer l’égalité civique, face aux résistances du conservatisme viscéral des Européens d’Algérie.
À l’inverse, l’idéal patriotique arabo-musulman et algérien insufflé par les théologiens oulémas et les partisans de l’arabisme est porteur d’espoir. De ce point de vue, la célébration en 1930 du Centenaire de l’Algérie française glorifiant l’œuvre de la colonisation, apparaît comme une illusion qui masque les failles invisibles d’un système colonial à bout de souffle.
La Seconde guerre mondiale accentue cette évolution politique et renforce le nationalisme algérien après la défaite de la France en 1940 et surtout après le débarquement des troupes anglo-américaines en Afrique du Nord. En 1943, le Manifeste du peuple algérien de Ferhat Abbas, un Jeune-Algérien déçu converti au nationalisme, revendique la constitution d’un État algérien prônant l’égalité totale entre musulmans et Français. Cette proclamation révolutionnaire suscite l’adhésion de nombreuses personnalités algériennes.
Le Comité français de libération nationale (CFLN), constitué à Alger le 3 juin 1943 pour défendre la souveraineté française sur les territoires de l’empire, rejette cet appel mais promulgue, le 7 mars 1944, une ordonnance qui accorde la citoyenneté française, avec maintien du statut personnel musulman, à toute l’élite algérienne (environ 65 000 personnes) qui votera dans le même collège électoral que les Français. Tous les autres musulmans sont appelés à recevoir la citoyenneté française, lorsque l’Assemblée constituante de la France libérée en aura délibéré. L’indigénat est définitivement aboli, l’égalité civile établie.
Ce texte révolutionnaire, s’il reçoit le soutien des représentants des mouvements de Résistance et des délégués des partis communiste et socialiste présents à Alger, est combattu par la quasi-totalité des Français d’Algérie. Pour les nationalistes algériens, il vient trop tard.
En réaction à l’ordonnance du 7 mars 1944, dénoncée comme une atteinte à l’islam et une tentative d’assimilation, l’ensemble du camp nationaliste algérien se mobilise de manière inédite au sein d’un groupement créé le 14 mars, les Amis du Manifeste et de la Liberté (ALM). Couve alors un projet d’insurrection à l’initiative de Ferhat Abbas, que Messali Hadj, plongé dans la clandestinité, aurait accepté. Ce mouvement mal préparé serait à l’origine des manifestations des 1er et 8 mai 1945 qui dégénèrent en émeutes meurtrières à Sétif et à Guelma.
Perçues comme le signal attendu du soulèvement par des ruraux du Nord Constantinois, elles sont à l’origine d’un cycle inouï de violence. Une centaine d’Européens isolés est assassinée. En représailles, des massacres sont perpétrés par l’armée et les civils sur plus de 15 000 victimes algériennes. La mémoire de ces exactions réussit à affermir les nationalistes algériens dans leur détermination en dépit de leurs divisions internes, dans la poursuite du combat pour l’indépendance et la liberté.
En 1954, le désastre de Diên Biên Phu impressionne l’opinion, et la paix signée en Indochine comme la promesse donnée au Maroc et à la Tunisie d’une évolution vers l’autonomie, rencontrent un écho très vif au sein du mouvement nationaliste algérien. Une poignée de militants, dont Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella, assument le choix de la lutte armée et créent le Front de libération nationale (FLN). Dans la nuit du 31 octobre au ler novembre 1954, l’ensemble du territoire est troublé par une série d’attentats revendiqués par le FLN. La guerre d’Algérie a commencé.
Des renforts sont rapidement envoyés. Pierre Mendès France est contraint à la démission et l’état d’urgence est promulgué par le gouvernement d’Edgar Faure. Au lendemain de nouvelles émeutes sanglantes le 20 août 1955 dans les villes du Nord-Constantinois, dix ans après les massacres à Sétif et Guelma, la France s’enfonce peu à peu dans le conflit et dans la répression, en sonnant le rappel de 60 000 réservistes.
Le 30 septembre 1955, la « question algérienne » est inscrite à l’ordre du jour de l’ONU : le conflit entre dans sa phase d’internationalisation. En France, elle s’invite dans la vie politique.
Le Front républicain, vaste coalition de la gauche non communiste, mène campagne sur le thème de « la paix en Algérie » et remporte les élections législatives du 2 janvier 1956. En contradiction avec ses promesses de paix et de négociations, les « pouvoirs spéciaux » « autorisant le gouvernement à mettre en œuvre en Algérie toutes mesures exceptionnelles en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens, et de la sauvegarde du territoire » sont votés massivement, au moment même où le Maroc et la Tunisie accèdent à l’indépendance.
Dès juillet 1956, les effectifs de l’armée stationnés en permanence sur le sol algérien sont portés à 400 000 hommes et ce sont désormais des appelés qui partent pour un service militaire de vingt-sept mois de l’autre côté de la Méditerranée.
Le 20 août 1956, les nationalistes algériens s’organisent lors d’un congrès tenu dans la vallée de la Soummam, au cours duquel le FLN se dote d’un programme et met en place une direction, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Il est chargé d’éliminer toutes les organisations politiques rivales, notamment le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj (s’en suit notamment le massacre par une unité de l’ALN, le 28 mai 1957, de 374 habitants du village de Mélouza soupçonnés de sympathies messalistes). Le FLN-ALN n’est pas épargné par cette violence, déchiré de l’intérieur par les rivalités pour la conquête du pouvoir.
Le congrès de la Soummam décide de faire porter ses actions dans les villes, contre les quartiers européens. À Alger, le 30 septembre 1956, en fin d’après-midi, des bombes éclatent dans deux cafés du centre-ville, le Milk-Bar et la Cafétéria ; on y dénombre quatre morts et cinquante-deux blessés. La guerre est entrée dans un engrenage de terrorisme dont elle ne sortira plus.
Les chefs historiques de l’insurrection algérienne (Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et l’écrivain Mostefa Lacheraf) sont interceptés le 22 octobre 1956, à bord d’un avion les transportant à Tunis et sont transférés à Paris.
L’année 1957 est marquée par la terrible « bataille d’Alger », où abonde l’usage de la torture, mise en œuvre pour stopper la spirale des attentats. Le 7 janvier, une ordonnance du préfet d’Alger a confié au général Massu et à la 10ème division parachutiste les pouvoirs de police sur la ville d’Alger. En guise de protestation contre les sévices perpétrés pour obtenir du renseignement, le général Paris de Bollardière demande, le 28 mars 1957, à être relevé de ses fonctions. D’autres bombes éclatent encore, mais progressivement le FLN perd la partie. Yacef Saadi, le chef de la zone autonome d’Alger du FLN, est arrêté le 24 septembre 1957.
La question de la torture s’invite sur le devant de la scène à Alger comme à Paris. En septembre 1957, Paul Teitgen, secrétaire général de la police à Alger, démissionne. À Paris, à l’initiative de Laurent Schwartz et Pierre Vidal-Naquet, se forme le comité Maurice Audin, du nom d’un jeune mathématicien qui, après avoir été enlevé par les parachutistes et torturé, a disparu. La publication en 1958 du livre d’Henri Alleg La Question révèle au grand public la pratique de la torture, déchirant l’opinion, l’Église, les familles, les partis.
L’isolement international de la France et la crise ouverte à Alger le 13 mai 1958 par la formation d’un Comité de salut public, qu’anime en particulier le général Massu, contribuent à favoriser le retour du général de Gaulle, dont le gouvernement est investi le 1er juin à l’Assemblée nationale. À Alger, le 4 juin, De Gaulle apaise les tensions avec son insondable « Je vous ai compris ».
Au lendemain de l’adoption de la Vème République, le nouveau chef de l’exécutif 1958 propose le plan de Constantine, alliant réformes économiques et sociales en faveur des musulmans, et promet « la paix des braves » (23 octobre) au FLN, doté depuis le 19 septembre d’un Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Le général est élu président de la République le 21 décembre 1958.
De Gaulle sait que le FLN dispose d’un début de reconnaissance internationale, qu’il s’appuie toujours sur « l’armée des frontières » et sur l’immigration algérienne en France (plus de 130 000 cotisants du FLN). Aussi, malgré la victoire militaire, il met le cap sur l’autodétermination. Au cours d’une allocution télévisée le soir du 16 septembre 1959 il en prononce le mot, en présentant deux options possibles : l’« intégration-francisation » ou l’association. Cette dernière suppose une négociation avec le FLN et de s’en remettre au choix de la population algérienne.
Les partisans de l’Algérie française se sentent infiniment trahis par la volte-face de Gaulle et expriment leur refus de toute évolution politique par la « semaine des barricades » à Alger. Pendant ce temps, les chefs algériens Ferhat Abbas et Lakhdar Ben Tobbal parcourent le monde pour recueillir des soutiens lors du prochain débat de l’ONU. La représentativité du FLN croît parmi les alliés africains de la France.
En juin 1960, l’ouverture des premiers pourparlers entre le FLN et le gouvernement français à Melun suscite un grand espoir en France, où le soutien à l’indépendance algérienne est apporté publiquement par les organisations de gauche. D’autres, par solidarité active, s’engagent clandestinement au côté de Francis Jeanson, au sein d’un réseau d’aide au FLN et s’improvisent « porteurs de valise ». En septembre 1960, cent vingt et un intellectuels signent un texte (dit Manifeste des 121) proclamant le droit à l’insoumission contre la guerre d’Algérie.
Le 8 janvier 1961, le référendum sur la politique d’autodétermination en Algérie donne à la proposition de de Gaulle une large majorité, y compris en Algérie, où seules les grandes villes ont voté contre. Les négociations peuvent reprendre.
C’est le moment que choisit le général Raoul Salan, interdit de séjour en Algérie, pour créer l’Organisation armée secrète (OAS) mobilisant les extrémistes de l’Algérie française et bénéficiant de l’aide de l’armée d’active. Cette dernière est notamment désappointée à l’idée que ses victoires sur le terrain risquent d’aboutir à l’abandon de soldats musulmans restés fidèles à la France, près de 200 000 hommes, que l’on désignera sous le nom de harkis. Le coup d’État du 22 avril 1961, réunissant trois des plus hautes figures de l’armée française, les généraux Maurice Challe, Edmond Jouhaud, André Zeller, rejoints le lendemain par Raoul Salan, appuyés par les parachutistes de la Légion et les commandos de l’air, tourne court face à son impopularité dans l’opinion. Tout rentre dans l’ordre avec la reddition du général Challe et le retour dans le rang de l’armée d’active.
En un an, d’avril 1961 à avril 1962, le bilan des attentats de l’OAS se chiffre à 2 000 morts et le double de blessés. L’organisation sous la direction de Salan tente même à plusieurs reprises d’éliminer le général de Gaulle.
Le 5 octobre 1961, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, instaure un couvre-feu pour les immigrés algériens. En guise de protestation, la Fédération de France du FLN organise, le 17 octobre, une manifestation pacifique dont la répression est sanglante et longtemps tenue secrète : plusieurs dizaines de morts, des centaines de blessés, 11 500 arrestations.
De Gaulle annonce, le 2 octobre 1961, « l’institution de l’État algérien souverain et indépendant par la voie de l’autodétermination » et assouplit sa position sur le Sahara et les bases militaires françaises en Algérie. Les négociations peuvent reprendre. Un lieu est trouvé : Évian.
Au début de l’année 1962, en dépit des consignes de l’OAS, des milliers de Français d’Algérie gagnent la métropole tandis que le contingent rechigne au combat. À travers les journaux et les syndicats, l’opinion réclame la paix à corps et à cris. À Paris le 8 février, à l’appel de la gauche, une manifestation réprimée avec violence fait huit morts parmi les militants communistes, étouffés contre les grilles du métro Charonne, et cent cinquante blessés.
Suspendus en juin 1961, les pourparlers entre le GPRA et le gouvernement français reprennent à Lugrin, en Haute-Savoie, en juillet, achoppant encore sur la question du Sahara. L’accord est enfin conclu, à Évian, le 18 mars 1962.
L’OAS, privée de ses chefs, entame aussitôt un combat désespéré, multipliant avec ses « commandos Delta » incendies et plasticages, à Alger et Oran. Le 26 mars, pour « libérer le quartier de Bab-el-Oued », l’OAS lance les civils européens dans la rue provoquant le drame de la rue d’Isly, où quarante-six morts et deux cents blessés civils européens sont devenus la cible de tirailleurs algériens impressionnés par l’effervescence de la foule.
En métropole, le référendum du 8 avril 1962 a des airs de plébiscite : le « oui » aux accords d’Évian l’emporte sans équivoque avec 90 % des voix. C’est le signal du départ vers la France entre juin et juillet 1962 pour près d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants contraints à l’exil.
En Algérie, le 1er juillet 1962, à la question : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par la déclaration du 19 mars 1962 ? », six millions d’électeurs répondent « oui », contre 16 534 exprimant un « non ». L’Algérie est indépendante après quatre-vingt-douze mois d’une guerre qui a causé la mort de 30 000 Français et celle de près de 400 000 Algériens- à quoi s’ajoute au lendemain de l’indépendance, le drame des harkis et des disparus.
Un traumatisme des mémoires
Le traumatisme des mémoires est lié au très lourd bilan de ce que l’on nomme les événements d’Algérie. En Algérie, les morts se comptent par centaines de milliers et le FLN, parti unique au pouvoir, confisque l’héritage du nationalisme algérien au détriment de tout pluralisme, au travers d’un récit officiel imposant une image héroïque et monolithique.
En France, toute une génération d’appelés entre 1955 et 1962 qui ont participé au conflit, souvent sans en comprendre les enjeux, refoule le souvenir de cette « sale guerre ». 27 700 soldats français sont morts en Algérie. Ce passé qui ne passe pas reste présent dans la société française sous la forme d’une fracture invisible dont témoignent les mémoires croisées des descendants de cette histoire oubliée.
La « guerre d’Algérie », cette guerre longtemps sans nom, a été reconnue officiellement le 10 juin 1999, par l’Assemblée nationale française.
Le 20 janvier 2021, Benjamin Stora a remis un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, au président de la République, Emmanuel Macron. Parmi, les vingt-deux recommandations de son rapport, l’une consiste à réactiver à Montpellier le projet de musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, sabordé en 2014 et dont les collections sont actuellement déposées à Marseille au MUCEM. Début juin, une délégation de l’Elysée conduite par Cécile Renault, directrice du projet Mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, s’est déplacé à Montpellier pour évaluer les sites susceptibles d’héberger cette institution muséale. Le lieu choisi doit permettre de valoriser ce qui reste présent de ce passé, véritable trait d’union entre la France et l’Algérie.
Illustration : « La fidélité de l’“autre France”. Les chefs arabes savent garder la foi jurée », Le Petit journal, supplément illustré, n° 891, Paris, 15 décembre 1907.
Fonds Gallica/BNF