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Les avant-gardes artistiques durant l'entre-deux-guerres
Par Juliette Estaquet

Durant l’entre-deux-guerres, la capitale française continue d’attirer de nombreux artistes étrangers qui véhiculent leurs idées et viennent nourrir un foyer artistique déjà bouillonnant. Les mouvements artistiques exaltés de l’avant-guerre laissent place à des courants tout aussi novateurs mais qui trahissent le traumatisme vécu par toute la société lors de la Première guerre mondiale.

Le dadaïsme face à l’absurdité du conflit mondial

Le dadaïsme est un mouvement littéraire et artistique né au cours de la première guerre mondiale. Devant l’absurdité du conflit, des artistes tels Hugo Ball, Tristan Tzara ou Emmy Hennings se réunissent au Cabaret Voltaire à Zurich et fondent en 1916 cette nouvelle esthétique. Son nom, « Dada », est le fruit d’un jeu de hasard. Le poète d’origine roumaine Tristan Tzara dira : « J’étais avec des amis, je cherchais dans un dictionnaire un mot approprié aux sonorités de toutes les langues, il faisait presque nuit lorsqu’une main verte déposa sa laideur sur la page du Larousse – en indiquant d’une manière précise Dada – mon choix fut fait. »

La revue Dada paraît dès 1917. Le mouvement s’inscrit dans une recherche de légèreté et désire faire table rase du passé. Il rejette les conventions, la raison et la logique : « Il nous faut des œuvres fortes, droites, précises, et à jamais incompréhensibles » (Tzara). Le dadaïsme s’étend rapidement en Europe. En France, il connaîtra une effervescence majeure dès 1920 avec l’arrivée de Tzara à Paris chez son ami le peintre Picabia.

Tristan Tzara, André Breton, Philippe Soupault et Louis Aragon organisent des manifestations artistiques plus provocantes les unes que les autres. Le non-sens est au cœur de leurs créations. Les œuvres de Soupault, exposées au Salon Dada de juin 1921, sont révélatrices de cette volonté : Le portrait d’un imbécile est en réalité un miroir, tandis que Le portrait d’un inconnu consiste en un cadre vide auquel sont accrochés des ballons d’enfant. Avec ses ready-made, Marcel Duchamp se rapproche de ce mouvement. Des pièces de théâtre voient le jour tel Le cœur à gaz (1921) de Tzara. Mais, rapidement, une scission se crée entre les partisans des idées de Tzara et ceux d’André Breton. Le procès de Maurice Barrès pour « crime contre la sûreté de l’esprit, simulacre mis en scène par les dadaïstes, contribue au déclin du mouvement. La branche de Breton donnera cependant naissance au surréalisme, terme choisi en hommage à Apollinaire.

La naissance du surréalisme avec André Breton

En 1924, André Breton publie Le manifeste du surréalisme dans lequel il définit les principes de ce mouvement : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. »

Les surréalistes s’appuient sur les associations d’idées, les rêves et l’étude de la psychanalyse en s’intéressant aux recherches de Freud. Ils pratiquent l’écriture automatique. D’abord littéraire, le mouvement s’étend rapidement à toutes les formes d’art. La mort d’André Breton en 1966 est souvent considérée comme la date de fin du surréalisme.

Le jeu d’écriture et de graphisme collectif du cadavre exquis est créé en 1925 par plusieurs écrivains et artistes dont Jacques Prévert et Yves Tanguy. Le photographe américain Man Ray, qui fréquentait déjà les membres parisiens du mouvement Dada, est un acteur majeur du surréalisme français. Arrivé à Paris en 1921 chez Duchamp, il est présenté aux artistes surréalistes dont il réalise les portraits : Breton, Duchamp, Tzara, Aragon, Dali. Il développe des techniques photographiques telles que ses rayographies et ses solarisations avec l’aide de son assistante Lee Miller. Les tirages Le violon d’Ingres (1924), où il prend pour modèle sa muse Kiki de Montparnasse, et Les larmes (1932) demeurent des œuvres emblématiques dans l’histoire de l’art. Le Catalan Salvador Dali (qui s’essaie aussi à la photographie) réalise des peintures dans lesquelles il met en scène ses obsessions liées aux thématiques de la sexualité, de la mort et de la psychanalyse – « Le surréalisme, c’est moi ! », proclamera-t-il. La Persistance de la mémoire (1931) est l’une de ses œuvres picturales les plus connues. Le surréalisme touche aussi les productions cinématographiques.

Le cinéma de l’entre-deux-guerres, sublimer le réel

Depuis l’invention des frères Lumière en 1895 (La sortie de l’usine Lumière à Lyon) et l’apparition des premiers trucages (Le voyage dans la Lune, Georges Méliès, 1902), une importante production cinématographique s’est développée en France. L’ère du cinéma muet domine jusqu’en 1929. Mais les années d’après-guerre sont déjà marquées par la recherche d’une nouvelle esthétique. Selon Louis Delluc, « l’image doit être autre chose que l’imagerie ». Ce dernier réalise plusieurs films muets mettant en scène l’actrice Eve Francis : Fièvre (1921) ou La Femme de nulle part (1922). Germaine Dulac, réalisatrice féministe avant-gardiste des années 1920, réalise une critique de la vie conjugale bourgeoise avec La souriante Madame Beudet (1923).

Germaine Dulac est également à l’origine du premier film surréaliste, La Coquille et le clergyman (1927). Cependant, dans l’Histoire, c’est Un chien andalou (1929) de Dali et Luis Buñuel qui sera retenu. Les deux artistes collaborent à nouveau pour L’âge d’or (1930) qui déclenche un véritable scandale par sa portée anti-cléricale et anti-bourgeoise. Le film provoque une manifestation d’extrême-droite. Les œuvres des artistes Man Ray, Dali ou Max Ernst exposées dans le hall sont vandalisées et le film est interdit. Le 2 janvier 1931, seize membres surréalistes répondent par un tract de plusieurs pages. D’autres films surréalistes voient le jour, tel Le sang d’un poète (1930) de Jean Cocteau.

Le premier film parlant français, Les trois masques d’André Hugon, sort sur les écrans en 1929. Marcel L’Herbier est un réalisateur prolifique de cette période (Le Mystère de la chambre jaune, 1930). Avec l’avènement du parlant, une nouvelle génération d’acteurs émerge : Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Jean Gabin, Arletty, Michel Simon, Pierre Brasseur… Les années 1930-1945 formeront ce que l’on appelle l’« âge classique » du cinéma.

L’apogée du réalisme poétique est contemporaine de la victoire du Front populaire en 1936. Inspiré par la littérature naturaliste et par les avant-gardes, le courant est représenté par René Clair, Michel Carné, Marcel L’Herbier, Marc Allégret ou Jean Renoir. Les dialoguistes, tels que Jacques Prévert, jouent un rôle important et les décorateurs cherchent à sublimer le réel. Le Quai des brumes (1938) de Michel Carné, qui réunit Michèle Morgan et Jean Gabin dans un couple mythique, est un exemple du réalisme poétique.

L’arrivée du jazz en France, coup de foudre des artistes

À l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, les Parisiens découvrent le ragtime. Mais c’est surtout avec l’entrée en guerre des États-Unis en avril 1917 que le jazz se répand en France avec les fanfares militaires afro-américaines. Les revues du Casino de Paris accueillent le premier orchestre de jazz sur une scène française. Dans l’entre-deux-guerres, des musiciens de jazz afro-américains comme Sydney Bechet s’installent en France. Le Boeuf sur le toit est le premier club de jazz parisien. Il ouvre ses portes en 1922 et est fréquenté par l’intelligentsia parisienne (Cocteau, Stravinsky, Erik Satie, des membres du Groupe des Six etc.). Jean Cocteau en particulier est un fervent admirateur du jazz. Dans certaines de ses œuvres, comme La toison d’or (1929), il allie poésie et jazz.

La Revue nègre (1925) joue un rôle majeur dans la diffusion du jazz au cours des années folles. Joséphine Baker se contorsionne sur des rythmes endiablés au Théâtre des Champs-Elysées. L’affiche de Paul Colin fait scandale. Joséphine Baker poursuit avec le Théâtre des folies bergères. En 1930, engagée par Henri Varna, elle crée « J’ai deux amours » à l’occasion de la revue Paris qui remue. Elle devient la muse des peintres cubistes et surréalistes. En parallèle, dans les années 1930, les artistes s’inspirent du swing. C’est le cas de Charles Trenet par exemple. Le Lindy Hop arrive à Paris en 1937 avec le spectacle The Cotton Club Revue. Sa propagation s’accentuera à l’issue du second conflit mondial.

L’Art Déco, retour à la symétrique

Les années folles sont également marquées par un autre mouvement artistique. L’Art Déco, bien qu’il soit apparu dès 1910, trouve véritablement son apogée en 1925. L’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes est organisée à Paris d’avril à octobre. Cet événement donne son nom au mouvement.

L’Art Déco est issu de la volonté d’un retour à la symétrique et à la rigueur. Il se distingue des courbes de l’Art Nouveau, surnommé avec dérision « style nouille », et fait appel à l’utilisation de motifs floraux stylisés. Concernant d’abord le mobilier et la ferronnerie, il s’étend ensuite à l’architecture. Les formes, par leur simplicité et leur géométrie, s’inspirent du cubisme. Ainsi, à Paris, le palais de la Porte Dorée, construit à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, en est emblématique. Dans les villes du nord de la France, dévastées par la Première guerre mondiale, c’est le style de la reconstruction, prôné notamment par Louis-Marie Cordonnier (Arras, Lens, Douai).

L’art abstrait, vers l’internationalisation

L’art abstrait puise ses origines dans différents courants de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle remettant en cause la représentation du réel : l’impressionnisme, le fauvisme, le cubisme, etc. C’est un courant international qui émerge véritablement à partir de 1910. La première œuvre abstraite a longtemps été attribuée au russe Vassily Kandinsky et à son aquarelle Sans titre (1910), réalisée en Allemagne, mais cette proposition fait débat aujourd’hui.

En France, pour les débuts de l’art abstrait, on peut citer les œuvres du peintre tchèque František Kupka. Arrivé à Montmartre en 1896, il est le premier à présenter des œuvres abstraites à Paris à l’occasion du Salon d’automne de 1912 : Amorpha, fugue à deux couleurs et Amorpha, chromatique chaude. Kupka se lie par la suite aux membres du groupe de Puteaux, qui développent une approche post-cubiste dont nous avons parlé précédemment. Les salons de ce groupe, auquel appartient notamment Sonia Delaunay, évoluent vers l’abstraction et perdurent jusqu’en 1925. Le peintre français cubiste Auguste Herbin fait partie des représentants de ce mouvement dès 1917.

L’art abstrait continue de se développer dans l’entre-deux-guerres. L’association Abstraction-Création est fondée en février 1931 à Paris. Créée par Auguste Herbin, Théo van Doesburg et Georges Vantongerloo, elle réunit des peintres non-figuratifs en opposition au surréalisme d’André Breton et à la Nouvelle Objectivité allemande. Kupka participe à sa création et devient membre du comité directeur. Ses œuvres tendent de plus en plus vers une simplification. Le peintre se limite souvent aux couleurs primaires : le rouge, le bleu et le jaune. Piet Mondrian, installé à Paris depuis plusieurs années, rejoint l’association dès ses débuts. Lui aussi utilise des agencements de lignes pour construire ses toiles. Après avoir vu les œuvres de Mondrian à Montparnasse, la styliste Lola Prusac propose de créer pour la Maison Hermès des sacs et des valises s’inspirant des toiles de l’artiste : motifs géométriques bleus et rouges.

Abstraction-Création édite dès 1932 une revue qui contribue à la diffusion des recherches artistiques de ses membres. Les artistes s’intéressent particulièrement aux mathématiques et à la lumière. La préface du premier numéro explique l’origine du nom : « Abstraction, parce que certains artistes sont arrivés à la conception de la non-figuration par l’abstraction progressive des formes de la nature. Création, parce que d’autres artistes ont atteint directement la non-figuration par une conception d’ordre purement géométrique ou par l’emploi exclusif d’éléments communément appelés abstraits, tels que cercles, plans, barres, lignes, etc. » Les travaux d’Abstraction-Création se diffusent dans de nombreux pays et son influence s’étend aux États-Unis où l’American Abstract Artists est fondé en 1936.

Durant cette période, l’arrivée en France en 1933 de Kandinsky, pionnier de l’abstraction, est un événement notable. Dans ses toiles, il utilise des formes biomorphiques (« ayant l’aspect de la vie ») qui diffèrent de la rigueur géométrique observée jusqu’alors ; la palette de couleurs est variée. Composition IX (1936) demeure la seule toile à avoir intégré du vivant de l’artiste un musée français. En 1937, Kandinsky est reconnu et exposé au Jeu de Paume. À cette même période, en Allemagne, les nazis présentent son travail sous l’appellation d’« art dégénéré ».

L’association Abstraction-Création cesse ses activités à la fin des années 1930, mais donne naissance à Réalités Nouvelles sur la volonté de Robert et de Sonia Delaunay. Créé dès 1946 à Paris, Le Salon des réalités nouvelles s’attache à la diffusion de l’art non-figuratif qui poursuit son développement durant tout le XXème siècle. Il existe toujours aujourd’hui et se produit tous les ans à Paris.


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Vassily Kandinsky (1866-1944), Petits mondes, 1922.
Domaine public


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